mardi

Chronique de souvenir que je n'ai pas

Aujourd'hui, c'est la commémoration des 70 ans d'Auschwitz.
Et finalement, de tous les autres camps de concentration.

Je ne peux m'empêcher de penser à ces gens. Tous.
Pas seulement les juifs. Les polonais, les tziganes, les communistes, les homosexuels. Tous.
Entassés, triés, tués, parce-que considérés, non, justement, pas considérés. Ils faisaient simplement partie du néant, de l'inexistant.
Entassés dans des wagons à bestiaux. Combien met-on de moutons dans un wagon ?
Numérotés sur le poignet. Je suppose que ce devait être pour les repérer en cas d'évasion, comme on marque les chiens dans l'oreille.

Je vois ces images, à la télévision, et une angoisse m'étreint. La gorge me serre.
Je repense à ce camp que ma mère nous avait fait visiter, alors que nous étions adolescents, mon frère et moi. Le Struthof.
Je me souviens de ces corps, de ces lunettes, de ces chaussures, de ces cheveux, de ces alliances entassées... et de ces dents en or, bien gardées, pour un recyclage programmé.
Je me souviens de ces squelettes, vaguement entourés de peau, que l'on ne pouvait plus appeler des hommes.
Je me souviens de ces pièces fermées, avec juste une petite chose au plafond... et dont j'avais peine à imaginer la fonction.
Je me souviens de ma mère qui n'avait pas pu entrer dans ces pièces de souvenirs. Elle n'était pourtant pas juive. Elle avait juste eu une copine que les SS étaient venus chercher à l'école... elle avait 14 ans. Elle avait eu un flirt, mort sous les coups de bottes des allemands, simplement parce-qu'il ne pouvait plus marcher.

Inhumanité si extrême qu'elle était inconcevable. Qu'elle est inconcevable. Même maintenant.

Il faut se souvenir de l'inconcevable. 





mercredi

Silences et cris

La vie va reprendre son cours. C'est normal. C'est humain.
Toute blessure se referme, en laissant une cicatrice. Parfois on doit changer le pansement : il suinte.
17 personnes massacrées. Rien à voir avec le 11 Septembre. Et pourtant, le monde entier s'est mobilisé.
Étonnant. Oui, j'ai été étonnée.
Nous en avons déjà eu, des attentats. Qui ont touché beaucoup, beaucoup plus de personnes.
Mais là...
Oui, nous allons recommencer à rire.
Mais cela ne sera plus jamais pareil.


Curieusement, après avoir marché ensemble, la France se retrouve divisée. 
Non pas en deux, mais en plusieurs morceaux.
On dirait un feu d'artifice : une fusée qui monte, bien haut, groupée et hop, elle explose de tous les côtés, et en plusieurs fois.

1. ceux qui étaient là de façon sincère.
   - ceux qui croient qu'il y a malgré tout un avenir, pour peu qu'on s'en donne la peine. Il ne peut en être autrement.
              - "on" c'est les autres (celui qui marche à côté)
              - "on" c'est quelqu'un va s'en occuper (le gouvernement)
   - ceux qui croient que, non, l'humanité n'est pas toute mauvaise
              - il ne faut pas faire d'amalgame, il y a des "bons et des méchants". Il n'est pas question de race, d'ailleurs, il y a eu 3 policiers tués. Etonnamment "black, blanc, beur".
   - ceux qui croient que ce rassemblement, ces rassemblements, vont être utiles dans la prise de conscience
              - la prise de conscience, le choc. Un petit mélange des 2 points précédents, mais qui se rend compte malgré tout que ça peut aller très loin.
   - ceux qui pensent qu'il y a eu un réel problème d'atteinte à la liberté d'expression

2. ceux qui étaient là, parce qu'il "fallait" l'être
   - ceux qui ont regardé les vitrines (ce sont les soldes)
              ("j'ai vu une jolie robe, tiens, ils ont commencé une 2ème démarque chez...")
   - ceux qui ont regardé qui participait -ou pas-
              ("je ne t'ai pas vu(e) à la marche hier"... -ce qui est aussi une façon de dire que "eux" y étaient-). 
   - ceux qui attendent de voir comment le vent va tourner pour émettre une opinion
              (je ne comprends pas trop ce qu'il se passe, mais on verra bien)
   - les soixante-huitards sur le retour (enfin il y a de l'action !)
   - ceux qui en ont marre, et que là, c'est un prétexte parmi tant d'autres, parce-que tout seuls, ils se sentent faibles.

3. ceux qui n'étaient pas là (ceux là, sont à la base de la fusée).
   - les sincères
              - ceux qui pensent "c'est bien fait, ils n'ont eu que ce qu'ils méritent"
              - ceux qui connaissent toutes les études, qui ont tout vu et tout lu
              - ceux dont les opinions politiques étaient déjà arrêtées
   - les fatigués
              - "pas envie de sortir, s'il n'avait pas fait si froid... mais ils ont raison..."
   - les je m'en-foutistes
              - ce n'est pas mon problème, avec un grand haussement d'épaules
              - il fait beau, et c'est un épiphénomène.

Les "1" et "2" vont partir en fumée, les "3" vont rester. Bien stables.
Ce sont les "3" qui vont faire en sorte que tout va partir dans tous les sens, parce-que ce sont eux qui vont faire griller la 2ème allumette.






Hommage

Non, je ne suis pas Charlie. 
Je n'en ai pas la carrure. Et encore moins le talent.

J'éprouve une peine profonde pour… je ne sais plus. Tant de désarroi.
Nos dessinateurs, nos journalistes, nos policiers… morts pour quoi ? Pour avoir exprimé à leur façon leur vision de notre société. Morts pour avoir défendu notre liberté.

Ce soir, nous étions nombreux sur la Place de la Mairie. Une bougie à la main.
Le drapeau était en berne. A côté, l'affiche : "Je suis Charlie".

Je suis triste. 
Triste pour notre liberté qui est piétinée.
Triste pour notre liberté qui a été tuée ce matin.