Nous sommes passés devant ce petit bateau plusieurs fois.
Deux hommes –ou peut-être trois ?- travaillaient
dessus. Ponçaient, frottaient, lissaient… une coque magnifique. Toute en
délicatesse et finesse.
Mais je ne connais rien aux bateaux.
Celui-là aura peut-être son propre nom.
Car il a été créé.
Ce matin, en allant me promener, je suis passée devant. Une
fois de plus. Il avait la coque toute belle. Mais déjà hier soir, elle avait
été peinte. Bordeaux, noir et blanc.
Ça n’a pas l’air, comme ça. Mais elle était belle.
Je ne comprends pas pourquoi « voilier » est du
genre masculin.
Ce matin, un homme s’occupait du mât. Hier, je l’avais vu le
poncer, le lisser, et en caresser le bois, du plat de la main. Là, il en
peignait juste le haut. En blanc.
Je suis allée voir le « Moulin du Bonheur » sur
une des collines de Porquerolles.
Quand je suis revenue, le bateau n’était plus là. Il y avait
un manque. Je l’ai cherché des yeux. Il allait vers la mer.
Regarder la mise à l’eau d’un bateau est une chose…spéciale.
Pas magique. Spéciale.
La mise à l’eau d’un voilier est encore différente. Pour
moi.
Je ne sais pas pourquoi la mise à l’eau de « ce »
bateau a été particulière. Emouvante. Peut-être parce que je l’avais vu
évoluer, changer, grandir en l’espace de juste quelques jours.
Alors, je suis restée là, à regarder et avoir les yeux qui
l’entouraient comme les sangles qui allaient le soulever. Lentement.
On aurait dit qu’elles l’étreignaient comme une mère son
enfant.
J’ai essayé de me faire petite. Ne pas faire partie de tous
ces touristes qui photographient à tout va. Ne pas gêner. Mais je n’ai pas pu
m’empêcher de m’approcher…
Tous s’affairaient. Protéger le bateau, mettre une planche
de bois là…et là… juste pour que le tout soit bien équilibré. Pour qu’il soit
bien.
Il s’est élevé. Sous les yeux des « professionnels »,
ceux qui sont habitués… et de ses propriétaires. C’est normal. J’étais à côté
d’un des hommes que j’avais vu transpirer les jours précédents, et je lui ai
dit qu’il avait fait un travail magnifique. Magnifique.
Le voilier est descendu doucement dans la mer. Très
doucement. Sans son mât.
Son mât est venu après. S’emboîter là… comme il faut.
Les sangles sont parties, les bras se sont ouverts. La mer
l’a accueilli.
Je me suis approchée de celle que je pensais être la
propriétaire. Je ne sais pas si je suis arrivée à lui transmettre mon émotion.
Je sais maintenant que c’est son fils qui a dessiné et créé
son bateau. Leur bateau.
Je crois que son fils était ce jeune homme, celui qui a tant
transpiré.
Merci Madame, de m’avoir dit que votre bateau s’appelait
« Alikea ». Vérité.
« Alikea », je te souhaite bons vents.